
Nautapunis: c'est le gardien spirituel et coutumier. A Tanna il y a un Nautapunis pour tout. Le Nautapunis du kava, de l'igname, du Tarot... Celui qui récolte par exemple avant que le Nautapunis l’autorise, ou continue de cultiver alors que ce dernier déclare la fin de la culture, sera sanctionné coutumièrement. Un Nautapunis (Langue de Tanna), sorcier, magicien agraire qui est gardien de la bonne croissance de tel ou tel faune ou flore.
Problématique actuelle et enjeux de conservation
Aujourd’hui, une question cruciale se pose : quelles sont les causes du déclin de la population de roussettes à Tanna, et comment peut-on assurer leur protection durable ?
Des débats émergent régulièrement sur les réseaux sociaux au Vanuatu, mettant en lumière les pratiques traditionnelles des habitants de Tanna vis-à-vis des animaux. Deux cérémonies coutumières sont particulièrement pointées du doigt : la cérémonie d’ouverture de la chasse, et celle du Niel, un rituel d’échange basé sur le don et le contre-don. Ces pratiques, bien que profondément ancrées dans la culture locale, sont perçues par certains comme contribuant à la pression exercée sur cette espèce de chauve-souris frugivore.
La cérémonie du Niel, par exemple, consiste à constituer un « tas » de nourriture offert à un groupe allié. Ce dernier, selon les règles de réciprocité, devra plus tard offrir un Niel de valeur équivalente. Il ne s’agit pas d’un échange à visée lucrative : il n’y a ni profit, ni perdant, ni gagnant. Ce système repose sur une logique d’équilibre et de réciprocité, à l’image du potlatch observé dans d’autres sociétés traditionnelles.
Les Niel concernent souvent des aliments spécifiques : ignames, taros, bananes, canne à sucre, poissons, etc. Par exemple, un groupe détenant les magies de fécondité des ignames peut offrir une récolte entière à un autre groupe possédant les magies de reproduction des taros, et inversement. Ces échanges ont aussi une dimension esthétique et cérémonielle forte : les produits sont empilés en monticules impressionnants, décorant la place de danse, tandis que les arbres environnants sont ornés de tresses d’ignames suspendues.
Aujourd’hui, les Niel agricoles sont souvent accompagnés de dons de cochons. Ces cérémonies, qui peuvent durer toute la nuit, sont au cœur des alliances politiques et sociales de l’île. Elles incarnent la fertilité magique des jardins de Tanna et renforcent les liens entre les clans, notamment entre ceux des zones côtières et ceux des montagnes.
Impact des pratiques humaines et pressions contemporaines
Le 1er février 2014, lors de la cérémonie d’ouverture de la chasse aux roussettes à Koumera (sud de Tanna), 225 roussettes ont été tuées entre 6h et 9h du matin. Pourtant, les estimations indiquent qu’environ 100 000 individus subsistaient encore sur le site. Ce chiffre, bien que significatif, ne doit pas occulter le fait que cette tradition, pratiquée depuis des générations, s’inscrit dans un cadre coutumier strict et limité dans le temps.
En effet, la cérémonie de prière d’ouverture pour la première récolte d’un plant ou d’un animal, comme celle des roussettes, n’a lieu qu’une fois par an dans chaque région de l’île. Elle constitue un moment d’échange entre clans, où les produits de la nature sont partagés dans un esprit de respect et de réciprocité. L’organisation sociale des insulaires repose sur des pratiques coutumières, collectives et profondément respectueuses de l’environnement. Il serait donc réducteur d’attribuer à ces traditions la responsabilité directe du déclin des roussettes.
Cependant, les pressions contemporaines sur l’écosystème de Tanna sont bien réelles. L’île compte aujourd’hui plus de 30 000 habitants sur une superficie de 550 km², ce qui en fait l’île la plus densément peuplée de l’archipel (hors Port-Vila et Luganville). Cette croissance démographique exerce une pression croissante sur les ressources naturelles.
Par ailleurs, l’introduction de nouveaux outils et techniques de chasse a facilité l’abattage massif des roussettes. Autrefois abondantes, ces dernières sont aujourd’hui dix fois moins nombreuses qu’il y a cinquante ans. La recherche de viande pousse de plus en plus d’hommes à chasser, accentuant la pression sur une population déjà fragilisée.
En parallèle, l’expansion des zones agricoles pour répondre aux besoins alimentaires croissants entraîne la déforestation. Or, les roussettes dépendent des forêts calmes et intactes pour se reposer et se reproduire. La destruction de ces habitats perturbe gravement l’équilibre écologique. Comme le souligne Tony Noclam, un jeune de la tribu de Lamlu :
« Avant, il y avait un nid de roussettes juste en bas, où vivaient des milliers d’individus. Mais elles sont toutes parties, car la famille a dû construire des champs à côté. Depuis, il est devenu très difficile d’en trouver chez nous. »
Ce témoignage illustre bien la fragilité de l’équilibre entre développement humain et préservation de la biodiversité. La survie des roussettes dépendra de la capacité des communautés à concilier traditions, besoins modernes et conservation écologique.
Un exemple prometteur de conservation communautaire : le cas de Lowpikas
À Lowpikas, dans le centre de la brousse de Tanna, un exemple remarquable de protection de l’environnement a été observé et largement salué. Contrairement à d’autres régions où la pression humaine menace la biodiversité, ici, une dynamique inverse s’est installée.
Comme le raconte Nako, un habitant d’une trentaine d’années :
« Ici, ce n’est plus nous qui chassons les roussettes, ce sont elles qui nous chassent. »
Cette déclaration, à la fois symbolique et révélatrice, illustre le profond respect que les habitants de Lowpikas ont développé envers la faune locale. En effet, à proximité d’un important site de nidification des roussettes, d’environ 1,5 km², les habitants ont volontairement abandonné leurs anciens champs et même certains de leurs habitats pour laisser l’espace aux animaux. Cette décision collective vise à préserver la tranquillité et la biodiversité du site, en particulier cette espèce menacée.
L’initiative de conservation remonte à 1986, lorsqu’un individu, conscient de la fragilité de l’écosystème, a décidé de protéger un arbre unique où les roussettes venaient se reposer. Aujourd’hui, grâce à cette action pionnière, c’est une forêt primaire de plus de 1,5 km² qui abrite une population croissante de roussettes. La zone de conservation continue de s’étendre, preuve de l’efficacité de cette approche communautaire.
L’accès à ce site est désormais strictement réglementé. Nul ne peut y pénétrer sans autorisation, laquelle est rarement accordée. La chasse y est totalement interdite. Seules les roussettes qui quittent le site la nuit peuvent être chassées, et uniquement en dehors de la zone protégée.
Ce modèle de gestion locale, fondé sur le respect des équilibres naturels et des décisions communautaires, démontre qu’il est possible de concilier tradition, autonomie locale et conservation de la biodiversité. Il constitue un exemple inspirant pour d’autres régions de Tanna et au-delà.
« Ici, ce n’est plus nous qui chassons les roussettes, ce sont elles qui nous chassent. »
Sanctions coutumières et reconnaissance communautaire
En cas d’infraction aux règles établies par les villages concernant la zone de conservation, la sanction est double. D’une part, des peines corporelles peuvent être infligées aux contrevenants, en accord avec les pratiques coutumières. D’autre part, une amende réparatrice est systématiquement exigée. Celle-ci prend généralement la forme d’un cochon accompagné d’un pied de kava, symboles forts de réparation et de réconciliation dans la culture locale.
Il est important de rappeler que cette initiative de conservation, aujourd’hui largement reconnue, a débuté comme un projet individuel ou familial. Progressivement, elle a pris une dimension tribale et clanique, jusqu’à devenir un exemple emblématique sur l’ensemble de l’île de Tanna.
Limites de l’appui institutionnel et perspectives
Malgré son succès, l’initiative de Lowpikas souffre d’un manque de soutien de la part des pouvoirs publics. Les habitants expriment le souhait que l’État ou les autorités locales contribuent au financement de la conservation de cette zone. Ils envisagent également la possibilité de développer un projet écotouristique, qui permettrait de générer des revenus pour la communauté tout en valorisant la biodiversité locale.
Ce projet a été mis en œuvre sans formation spécialisée, sans moyens techniques, ni financement extérieur. Le seul coût réel a été la perte volontaire de terres agricoles et d’espaces de vie au profit de la nature. Cela témoigne d’un engagement profond et désintéressé en faveur de la préservation de l’environnement.
Vers un réseau de zones de conservation
Lowpikas représente un modèle de conservation communautaire que j’ai eu l’occasion de visiter personnellement. Mais ce n’est pas un cas isolé. D’autres zones de protection de l’environnement et des espèces terrestres naturelles existent également sur l’île, notamment :
- Green Hill (Nord de Tanna)
- Lowanamilo (Centre Brousse de Tanna)
- Koumera (Sud de Tanna)
Ces initiatives locales, bien que dispersées, pourraient former à terme un réseau de conservation insulaire, renforçant la résilience écologique de Tanna face aux pressions humaines et climatiques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire