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jeudi 14 mai 2015

«La portée constitutionnelle de la légistique repose sur la clarté et la précision de la loi»

KASSO OLIVIER


«La portée constitutionnelle de la légistique   repose sur la clarté et  la précision de la loi»

KASSO Olivier étudiant en Master de Droit


"Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire arrivent aisément".
  BOILEAU

La légistique désigne l’ensemble des connaissances et des méthodes utilisées pour l’élaboration des actes normatifs et en  particulier du plus important d’entre eux : la loi. C'est l'art de faire la loi  ou science de la législation, la légistique propose des solutions pour améliorer la qualité des lois. Or, la qualité d’une chose ne peut être appréhendée qu’à partir du rôle ou de la fonction que l’on prête à celle-ci a priori. Prétendre améliorer la qualité des lois suppose donc de répondre au préalable à la question: qu’attendons-nous de nos lois?
Cette fonction de la loi apparaît de manière récurrente dans l’histoire des idées. Elle connaît à cet égard, les nombreuses fonctions attachées à l’acte législatif convergent nettement sur la garantie et la protection des droits et libertés. Notre tradition juridique place la loi au cœur du système normatif; c’est ce qu’on appelle le légicentrisme. Placée au centre du système, la loi a vocation à garantir les droits et libertés. Elle constitue un trait d’union entre la Constitution et les normes d’application. Elle apparaît comme la passerelle entre l’idéal et la réalité. Sa fonction essentielle est donc de concrétiser les droits et libertés, de leur conférer un contenu, de leur assurer des garanties, pour leur donner accès au réel.
Ainsi envisagée, la qualité de la loi devra s’apprécier au regard de cette finalité prédéterminée qui fait de la loi la «courroie de transmission» des droits et libertés de valeur constitutionnelle. Une loi de qualité aura vocation à mieux protéger les droits et les libertés, c’est-à-dire à renforcer leur effectivité. En proposant des solutions pour améliorer la qualité des lois, la légistique est donc appelée à jouer un rôle en matière d’effectivité.
La légistique entretient avec le droit des relations privilégiées mais non exclusives. Dans la mesure où cette discipline a vocation à définir les contours d’une «bonne loi», elle confine à l’exercice philosophique, voire utopique. La légistique renvoie à un idéal normatif : elle définit ce qui devrait être.
 L’émergence en France d’un véritable contrôle de constitutionnalité des lois a en effet permis à la légistique d’être «saisie par le droit»
Le conseil constitution a à plusieurs reprises mis en garde le législateur sur  la clarté et la précision de la loi. Ainsi émet certains objectif à valeur constitutionnelle qui sont  l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi.
L’intelligibilité de la loi s’entend comme la garantie que le contenu de la règle peut être compris par le citoyen intéressé par elle. L’accessibilité signifie qu’aucun obstacle n’est opposé à l’accès matériel au texte de cette règle.

Deux qualités que la rédaction de la loi doit respecter, en dérivent : clarté, précision. Lorsque la loi est précise et non équivoque, elle ne méconnaît pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Dès lors, « il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution ; à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (Cons. const. n°2004-494 DC du 29 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social – Code du travail).

On s'intéressera    ici sur la portée  constitutionnelle de la légistique  qui sont la clarté et la précision , ainsi   qu' aux objectifs  à valeur  constitutionnelle de la légistique.



I)     Selon le Conseil  constitutionnel la loi  se doit d'être   claire et précise


En France, le Conseil constitutionnel a reconnu un « principe de clarté de la loi » qu'il a fait découler de l'article 34 de la Constitution. Il le distingue de l'« objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi » qu'il fonde sur les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 dont le but est de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi »

Il faudrait donc que la loi doit avoir un contenu normatif. Elle doit être claire, compréhensible. Elle doit pouvoir être appliquée sans ambiguïté. Les textes qui enfreignent ces règles encourent l’annulation.

Ainsi d’un très long  article de la loi de finances pour 2006 sur le plafonnement des niches fiscales dont les dispositions particulièrement complexes étaient devenues, au fil des amendements parlementaires,  incompréhensibles pour le contribuable.
Le conseil constitutionnel vient ainsi appuyer les efforts que le Conseil d’Etat a toujours consentis, dans les avis qu’il donne en vertu de  l’article 39 de la Constitution, pour assurer la qualité des projets de loi.
« Le même avis du Conseil d’Etat peut d’ailleurs désormais, c’est une autre novation de la réforme constitutionnelle de 2008, être requis vis à vis des propositions de loi déposées par les parlementaires, si le Président de l’assemblée saisie le demande ».
Tout cela va dans le bon sens et il est sain que l’intervention des légistes puisse contribuer à l’élaboration de lois  de meilleure qualité. Pour autant l’exercice a ses limites. Exigences politiques et rigueur juridique ne vont pas nécessairement de pair.
Le législateur aura toujours tendance à faire figurer dans la loi des déclarations de principe juridiquement superfétatoires mais qu’il considère comme nécessaires pour illustrer son dessein. Il continuera souvent à privilégier la recherche de compromis qui peuvent déboucher sur des textes relativement flous, dans lesquels chacun peut trouver son compte.

En droit suisse, le principe de clarté de la loi a été reconnu par la jurisprudence essentiellement sous son aspect de concrétisabilité: la loi doit être suffisamment précise afin que le justiciable soit en mesure de connaître ses droits et ses obligations dans le cas concret. Le Tribunal fédéral suisse l'a déduit du principe de la légalité (art. 5 de la Constitution fédérale). Il exige ainsi, par exemple dans le domaine des contributions publiques, que l'objet de l'impôt soit déterminé dans la loi avec « une clarté et une précision adéquates » et, plus généralement, il juge que plus l'atteinte à un droit fondamental est grave, plus la base légale doit être rédigée précisément.
La Cour de justice des Communautés européennes a déduit l'exigence de clarté du principe de sécurité juridique. Quant à la Cour européenne des droits de l'homme, la prévisibilité d'une règle de droit suppose que la norme soit « énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé »





II) l'accessibilité  et l'intelligibilité de la loi  sont des objectifs à valeur constitutionnelle.


Un nouveau texte est souvent proposé pour des raisons politiques ou médiatiques sans que son utilité soit démontrée. Il faut y regarder à deux fois avant de l’édicter. Il faut donc faire preuve d'intelligibilité, comme note le Conseil constitutionnel.

Il note que l'accessibilité et l'intelligibilité « peuvent être considérées en effet comme des préceptes issus de la légistique formelle, cette branche de la légistique qui est constituée des principes et connaissances tendant à améliorer la communication législative et la compréhension des textes législatifs. Elles sont les conditions mêmes de l'effectivité de la loi, dans la mesure où l'application de celle-ci est conditionnée par sa connaissance et sa compréhension par ses destinataires. [...] Leur qualité d'objectif de valeur constitutionnelle signifie que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi ne constituent pas des droits subjectifs mais des conditions objectives d'effectivité des droits et libertés constitutionnels ainsi que des moyens de limitation de ceux-ci. Elles font partie d'une catégorie de normes constitutionnelles qui ont pour destinataire le législateur ».

1. La consécration de l'objectif

L'accessibilité et l'intelligibilité de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel en 1999.
La loi avait habilité le gouvernement à procéder par voie d'ordonnances à l'adoption de neuf codes en raison du retard pris par le processus de codification du fait de l'engorgement du calendrier législatif.
Les requérants mettaient en avant la violation de l'article 38 de la Constitution sur les ordonnances et estimaient notamment que l'argument relatif au retard dans le travail de codification lié à l'encombrement du calendrier parlementaire n'était pas suffisant pour recourir à l'article 38.
Le Conseil constitutionnel ne les a pas suivis. Dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, afférente à la loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, il a considéré, de façon prétorienne, que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution ; qu'en l'espèce, le Gouvernement a apporté au Parlement les précisions nécessaires en rappelant l'intérêt général qui s'attache à l'achèvement des neuf codes mentionnés à l'article 1er, auquel faisait obstacle l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire ; que cette finalité répond au demeurant à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; qu'en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu'une telle connaissance est en outre nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ».

Le législateur a ainsi l'obligation de respecter l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Aussi cet objectif peut-il constituer le fondement d'une déclaration de non-conformité à la Constitution.
Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a prononcé qu'une seule censure sur cette base.
Il a en effet déclaré contraire à la Constitution l'article 7 de la loi portant réforme de l'élection des sénateurs relatif aux bulletins de vote et qui complétait l'article L. 52-3 du code électoral.
Ici encore, le Conseil s'est appuyé sur les travaux préparatoires pour apprécier l'intelligibilité de la loi.
Dans sa décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003 portant sur cette loi, après avoir rappelé son considérant de principe sur la question, il a prononcé une censure pour atteinte « tant à l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qu'au principe de loyauté du suffrage », sur la base de quatre considérations :
- « Il ressort des travaux parlementaires à l'issue desquels ont été adoptées ces dispositions que l'intention du législateur est de les rendre applicables à l'élection des sénateurs ; que, toutefois, l'article L. 52-3 ainsi complété figure au titre Ier du livre Ier du code électoral, dont les dispositions ne sont pas relatives à cette élection » ;
- « La portée normative du premier alinéa inséré à l'article L. 52-3 du code électoral est incertaine » ;
- « Les notions de « nom propre », de « liste présentée dans une circonscription départementale » et de « représentant d'un groupement ou parti politique » sont ambiguës » ;
- « Le dernier alinéa inséré au même article autorise, dans certains cas, l'inscription sur les bulletins de vote du nom de personnes qui ne sont pas candidates à l'élection ; [...] une telle inscription risquerait de créer la confusion dans l'esprit des électeurs et, ainsi, d'altérer la sincérité du scrutin ».

2. La loi peut être complexe sans être inintelligible


Si la loi doit être intelligible, elle peut être complexe sans être contraire à la Constitution.
Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 portant sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Conseil constitutionnel a noté que, « si la loi déférée accroît encore la complexité des circuits financiers entre les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et les organismes créés pour concourir à leur financement, elle énonce de façon précise les nouvelles règles de financement qu'elle instaure ; qu'en particulier, elle détermine les nouvelles recettes de chaque organisme et fixe les clés de répartition du produit des impositions affectées ; qu'en outre, les transferts entre les différents fonds spécialisés et les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale sont précisément définis », et juge que « le surcroît de complexité introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à la rendre contraire à la Constitution ».
Il a jugé dans le même sens dans sa décision n° 2001-447 DC du 18 juillet 2001 portant sur la loi relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, tout en soulignant la réalité de la complexité accrue des circuits financiers relatifs à la protection sociale. Il a adopté la même position quelques mois plus tard concernant la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, dans sa décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, bien que « la loi déférée se caractérise encore par la complexité des circuits financiers » de la protection sociale.
Ce type de loi, qui concerne en l'espèce le droit et le financement de la sécurité sociale, « sera toujours marqué par une technicité certaine et demeurera donc difficilement accessible pour des non-initiés. [...] Incontestablement, la difficulté essentielle pour le juge constitutionnel est de déterminer, spécialement pour des textes à forte technicité, le seuil abstrait de sur complexité générant une déclaration d'inconstitutionnalité ».
Le Conseil constitutionnel a également rejeté le grief soulevé par les requérants à l'encontre de la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, selon lequel « l'ensemble du texte souffre d'une opacité qui nuit à son accessibilité par le citoyen », cette opacité ne pouvant, selon eux, que « paraître contradictoire avec l'objectif d'intelligibilité et de clarté de la loi ».
Les Cahiers du Conseil constitutionnel relèvent que « la complexité accrue [...] n'est donc nullement gratuite ». Le Conseil a en effet considéré, dans sa décision n° 2004-499 DC précitée, que, « si la loi déférée refond la législation relative à la protection des données personnelles, c'est en vue d'adapter cette législation à l'évolution des données techniques et des pratiques, ainsi que pour tirer les conséquences d'une directive communautaire ; qu'elle définit de façon précise les nouvelles règles de procédure et de fond applicables ». Dans des matières très techniques, le souci de précision du législateur le conduit à voter une loi complexe, mais cette complexité est nécessaire à l'intelligibilité.


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